Jean Chauma
Échappement libre
Roman noir
Collection obscura
2013
ISBN : 978-2-940516-03-2
200 pages
130 x 184 mm
23 CHF / 19 €
Échappement libre, est une fiction qui emprunte la forme du roman noir, mais se distingue par son originalité. Jean Chauma y poursuit ses réflexions sur le banditisme dont il éclaire les faces cachées, souvent ignorées par les auteurs ou les cinéastes.
L’écrivain raconte la trajectoire de Dominique qui, dès son plus jeune âge, réunit toutes les expériences qui conduisent au monde des « voyous ». Le roman s’ouvre sur le regard que porte le garçon, fugueur de 15 ans, sur « Trois hommes », « Trois truands ». Un sentiment de solitude et de tristesse le saisit alors, celui de ne pouvoir « rejoindre ces trois hommes et partir avec eux ».
À coup de chapitres situés en alternance dans le passé et le présent, Jean Chauma dissèque, avec justesse et sans complaisance, le parcours de Dominique. La grande force du roman est d’entraîner le lecteur au cœur même des relations hasardeuses, plus ou moins éphémères, mais assurément constitutives d’une vie de truand.
Jean Chauma est né à Paris. Il vit et travaille en France. Adoptant les genres du roman noir, de la nouvelle ou de la poésie, l’auteur a publié plusieurs ouvrages qui rendent compte des milieux du banditisme dans la France des années 1960-1970.
Média
Casanova mit Colt, Neue Zürcher Zeitung, 26 janvier 2016.
Échappement libre, Kaële Magazine, n° 109, avril 2015.
Jean Chauma, Échappement libre
par Pierre Fankhauser
Au début, j’étais un peu déçu. Je pensais que ça allait péter dans tous les coins et puis non, la grosse scène de baston, elle venait pas : juste quelques bouts de braquage par-ci par-là pour me donner l’eau à la bouche. Il y avait bien quelques pages au Tchad, des scènes de cul bandantes comme il faut, mais c’était pas ça que j’étais venu chercher.
Petit à petit, j’ai compris que c’était autre chose que Jean voulait me raconter avec son bouquin. Il me montrait comment on devient un voyou, comment on pense quand on est un voyou, à quoi ça ressemble, le monde, avec ces yeux-là. Pas de morale, non, du tout, plutôt un truc genre démonstration mathématique : cette impression de l’histoire qui s’écrit toute seule, ça faisait un bail que ça m’était pas venu.
Alors, quand j’ai fait le deuil des bastons, je me suis retrouvé avec Dominique tout contre moi, sans mots entre nous parce que les mots se démerdaient très bien pour pas se laisser voir. J’ai mis mes bras jusqu’au coude au fond de l’eau grise de l’évier du Victor Hugo et j’ai vu passer de l’autre côté du bar les truands et les putes sur le retour. J’ai senti le poids du sac de pétoires planqué à la cave entre deux bracos et j’ai eu envie de me taper Andrée, la patronne avec ses grosses mains solides.
Ce bouiboui graisseux entre les abattoirs, ça m’a rappelé quand j’étais gosse à Paris dans les années 60 et puis aussi mon premier casse, un tout petit : c’était la poste d’un bled qui s’appelle Maulers. On était trois : Damien, le Chinois et moi. Je m’étais pas couvert le visage et j’étais entré en premier. Je suis toujours entré en premier dans tous mes casses, toujours avec ma tronche à l’air : faire face, chez moi, c’est une habitude. C’est ça qui a fait que je me suis pas pendu avec mon drap pendant toutes ces années où j’ai appris à écrire comme je pense, après, en taule.
Article paru sur le blog Peu importe où, 14 mai 2013
Jean Chauma, Échappement libre
par Fred Valet
Jean Chauma s’empare avec poigne du destin d’un gamin apprenti voyou, échappé dans le Paris des sixties. Des mots comme des balles dans une poitrine consentante.
Le Matin, 11 mai 2013
Jean Chauma, Échappement libre
par Francis Richard
Les motards connaissent l’échappement libre. Les cinéphiles le film éponyme de Jean Becker.
Le livre de Jean Chauma parle de tout autre chose que de motos ou de fuite en voiture chargée d’or.
Jean Chauma raconte un jeune garçon qui part de chez lui en juin 1968, à quinze ans, et qui se retrouve braqueur à vingt-deux.
Dominique Delille n’a pas fugué. Il est parti :
« Ce n’est pas l’idée de liberté qui l’excitait, mais le mouvement d’échappement. »
Au tout début de cet échappement il est pris comme commis dans un bistrot de Paname, le Victor Hugo. Ce bistrot est tenu par Roger et Andrée David, lesquels ont une fille, Martine, du même âge que lui.
Andrée est une ancienne pute. Deux putes tapinent officiellement pour Roger, Marie et Danielle. En réalité elles versent une part de leur comptée à Andrée. Dominique loge chez Marie, qui l’initie au sexe. Mais il plaît aux trois… Il faut dire qu’il a de beaux yeux, de longs cils, comme une fille… et qu’il est bien monté… De quoi plaire à ces dames. Puis, à d’autres.
Jean Chauma raconte Dominique chez ses pseudo-parents, les week-ends avec eux à Maulers, en Beauvaisis ; sa vraie mère, la troublante Lucienne, mariée à Jean-Paul ; les pokers organisés par Roger dans le sous-sol du Victor Hugo ; l’engagement de Dominique à dix-neuf ans dans les paras envoyés au Tchad, où il fait la connaissance de ses complices de bracos, Le Chinois et Damien.
Les trois compères sont très différents. Le Chinois est sans doute le plus voyou, mais il n’a qu’une idée en tête : « mettre de l’argent de côté pour ouvrir un chouette resto et vivre comme un bourgeois ». Damien est un cave, qui aime s’encanailler la nuit et bande « pour les femmes de voyous ». Quant au troisième :
« Dominique aimait le Milieu et il voyait la voyoucratie comme une sorte de religion, avec l’idée d’y faire carrière. »
Le clan des Siciliens, avec Ventura, Gabin, Delon est un de ses films culte, sorti l’année de ses seize ans.
Dominique ?
« Il se donnait des airs de dur à cuire, essayant de copier Delon dans ses films. Pourtant, malgré cette absence d’appréhension du monde, malgré ses rêves qui voilaient son regard, il ne jouait pas à être Alain Delon. Il tendait vers quelque chose se rapprochant de l’image qu’il se faisait des personnages que jouait Delon. »
Et le fait est que leurs deux vies sont parallèles à leur commencement, pour diverger par la suite…
Jean Chauma décrit Dominique en ces termes :
« Dominique vivait sans raison, sans raisonnement. Il n’avait pas de système logique, pas de grille de lecture raisonnable. La vie ne se présentait pas comme conséquence des actes. L’acte, pour lui, valait pour ce qu’il était en lui-même. Par contre, Dominique semblait avoir certains sens, certains sentiments comme exacerbés. Il pouvait ressentir les choses, les voir venir avant tout le monde. »
Un intuitif, un instinctif, en quelque sorte.
Dans ce livre, Jean Chauma parle d’un monde disparu, mais qui n’était pas sans charme et qui était celui de mes vingt ans et suivants, de mes deux rencontres avec Albert Simonin, l’une au Pays Basque, l’autre dans son appartement du XVe arrondissement de Paris, de mes rencontres avec ses livres et ceux d’Alphonse Boudard, de mes rencontres avec les films de José Giovanni…
Dans ce monde se faire respecter voulait encore dire quelque chose, même, et surtout oserais-je dire, chez les voyous. C’était un monde qui n’était pas pour autant tout rose…
En l’occurrence le monde décrit par Jean Chauma est même plutôt noir. L’auteur, en effet, fait pénétrer le lecteur dans un monde de sexe et de violence qui n’est pas, tant s’en faut, celui des bourgeoises ou aristocrates pensionnaires d’institutions religieuses de l’époque. Bégueules, s’abstenir !
Même si, de temps à autre, Jean Chauma emploie des mots de l’argot d’alors, même s’il n’hésite pas à employer des mots crus pour décrire des scènes qui les méritent, sa façon d’écrire n’est pas complaisante. Elle coule de source pure et fait ressortir, par contraste, toute la noirceur du propos.
Article paru sur Le blog de Francis Richard, 9 mai 2013.